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Sur la polysémie du terme "démocratie" aujourd'hui

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Message  E.Barot - Admin Mar 11 Déc - 1:29

Il faut bien initier la rubrique, alors voici un apéritif tongue

La polysémie du terme "démocratie"
et ses enjeux aujourd’hui


[justify]
Une rencontre-débat, portant sur le thème ci-dessus, et organisée à l’initiative d’un groupe d’étudiants et du Comité de Lutte, a eu lieu le jeudi 6 décembre 2007 à l’Université Toulouse-II Le Mirail, rencontre "alternative" associée au mouvement de grève contre la loi LRU. Une quarantaine de personnes, étudiant-e-s et personnels, à discuté à cette occasion pendant plus de deux heures à la suite de l'introduction initiale dont je me suis chargé. Cette présentation ne prétendait ni à l'originalité, ni à l'exhaustivité, et encore moins à la neutralité. Le texte qui suit en est la version corrigée et remaniée.

NB : comme les messages du forum sont limités en taille, j'ai scindé le texte en deux.

E. Barot


« L’action directe, manifestation de la force et de la volonté ouvrières, se matérialise, suivant les circonstances et le milieu, par des actes qui peuvent être très anodins, comme aussi ils peuvent être très violents. C’est une question de nécessité, simplement.
Il n’y a donc pas de forme spécifique de l’action directe. […] L’action directe, c’est la force ouvrière en travail créateur : c’est la force accouchant du droit nouveau — faisant le droit social ! »
Émile Pouget, Le sabotage (1910)


Mise en bouche



L’expérience démocratique incarne une forme historique sans précédent de pacification des mœurs politiques, contre le bruit des bottes et les arbitraires régaliens de toute sorte. Le XXe siècle en a produit, parfois en son nom même on le sait, l’antithèse la plus totale. Au sortir de cette immense contradiction, la « démocratie » est aujourd’hui mise à toutes les sauces : il n’y a personne, à la télé ou au café qui n’en parle, mais surtout personne, des doctrinaires ou partisans des démocraties représentatives occidentales (comme la France) jusqu’à l’extrême droite ou les régimes de Mollahs, qui ne l’invoque pour justifier son existence et ses objectifs. « Démocratie » n’est donc plus ni concept, ni même idée, mais est devenu simple objet d’une surenchère, d’une inflation telle qu’il est important de rappeler que tous ces usages ne se valent pas. C’est en effet au nom de la démocratie aussi que Bush envoie ses tanks en Irak, de la même façon, même si l’analogie n’est qu’une analogie, qu’on envoie des CRS pour protéger une université attaquée par des hordes de gauchistes qui, plus encore que le couteau, ont évidemment la kalachnikov entre les dents.
Cette surenchère indique, à mon sens, que « Démocratie » aujourd’hui concentre, cristallise un paradigme idéologique majeur. Ce paradigme est organisé autour de l’idée de consensus et de dialogue social négocié, peu ou prou encadré par un État de droit, et défend, jusque sur la scène internationale contre tout un « espace public » où les « problèmes de société » sont, au contraire, discutés par une « société civile » respectueuse de l’État de droit et « vigilante » par rapport aux « excès du pouvoir ». Bref, « démocratie » signifie guère plus que « bonne organisation sociale », retombant sur le lieu commun du « moins pire des systèmes » : son invocation sert alors bien souvent à dé-légitimer par principe tout ce qui l’excède ou le dépasse, alors qualifié d’« anti-démocratique ».
Malgré la variété des motifs et des intérêts de ceux qui abondent dans le sens du paradigme, cette docilité du terme fait facilement l’unanimité, et justifie jusqu’aux guerres cherchant à l’imposer.

I – Bref cadrage : une ambiance révisionniste


Un large courant historiographique réactualise depuis deux décennies les critiques ultraréactionnaires et contre-révolutionnaires qui ont fleuri après 1789 pour défendre l’ordre monarchique chrétien qui battait de l’aile, et cela sous deux formes, l’une directe, l’autre plus feutrée. Dans ce courant domine d’abord explicitement l’idée que toute exigence démocratique excédant l’acception libérale-représentative (des Grecs à, surtout, 1789 et 1917) est par essence criminelle, véhicule une conception de la liberté et l’égalité qui en font les principes de la terreur. Bref l’exigence démocratique par soi amène au totalitarisme : la vérité de 1789, c’est le nazisme comme le stalinisme. Mais ensuite et corrélativement comme l’étudie J. Rancière dans La haine de la démocratie , c’est « l’individualisme démocratique » du consommateur qui, se faisant plaintivement assister au nom d’un égalitarisme décadent, forge un nouveau totalitarisme, celui des masses assistées qui vident les caisses de l’État, qui votent mal à cause de leur ignorance, qui refusent par passéisme et corporatisme de s’adapter au nouvelles contraintes mondiales, et contrecarrent la richesse de la Civilisation occidentale et chrétienne, et vont, via leurs intellectuels démagogues, jusqu’à cautionner les utopies religieuses destructrices que l’on sait à cause de leur anti-américanisme primaire.
Dans les deux cas c’est le cycle révolutionnaire de 1789 à 1917 qui est condamné comme étant par essence producteur de totalitarisme. Révisionnistes et démocrates représentatifs-libéraux convergent alors objectivement en ce qui concerne le mal politique par excellence : tout ce qui excède cette « démocratie libérale », horizon unique synonyme de Civilisation, renvoyant son Autre qu’il convient d’abattre par tous les moyens, dans la poubelle des barbaries. De là « terrorismes », guérillas, mouvements révolutionnaires jetés, et simples mouvements musclés de contestation, sont finalement jetés dans le même panier de l’axe du mal. L’intensification, en France de la condamnation de mai 1968 illustre cela de façon saisissante. On retrouvera plus tard cette question du révisionnisme.


II. Le « jeu de cons » des États de droit oligarchiques



i. Démocratie « indirecte » et démocratie directe
Le cadre général étant posé, revenons maintenant sur l’opposition classique mais toujours aussi aiguë entre démocratie indirecte et démocratie directe. Dans un premier cas, la consultation à bulletins secrets, garantissant que chaque votant ne subit, dans l’isoloir, aucune pression, est présentée comme la modalité la plus objective du suffrage universel, est défendue au nom de la démocratie. Dans le second, l’assemblée populaire, fondée sur la liberté d’idée et d’expression, exercée par tout membre reconnu d’un collectif, libre de participer ou non – un citoyen –, et opérant par le vote à main levée, est défendue au nom de la démocratie. Dans les deux cas, le principe, c’est « un homme une voix ». On pourrait imaginer que les deux approches constituent « en soi » de simples modalités logistiques de la décision collective, surtout du fait que derrière le principe, il y a le scandale inaugural et partagé de l’idée démocratique : la prétention à gouverner de ceux qui n’ont aucun titre, aucun droit, aucune légitimité à gouverner.
Ce scandale, le risque du « gouvernement du peuple » est millénaire. Or ce risque, ce scandale s’oppose concrètement à la délégation de pouvoir, à moins que celle-ci ne s’accompagne de la révocabilité permanente de celui à qui le pouvoir a été délégué. Or il se trouve que dans l’immense majorité des cas, la démocratie indirecte recouvre la démocratie « représentative », où le processus de décision est en fait processus de délégation de la décision, du pouvoir d’action à des représentants, théoriquement librement choisis pour leurs mérites ou leurs compétences. Mais nous savons bien que cette délégation s’effectue sans que cette révocabilité ne soit instituée, alors que dans le cas de la démocratie directe, on ne délègue pas ce pouvoir, mais surtout on ne représente rien, on exerce en acte ce pouvoir sans passer par des représentants. « Démocratie directe » est de ce fait un simple pléonasme.

ii. Représentation et oligarchies
Conséquences ? Démocratie ne signifie donc pas tant abstraite souveraineté populaire que gouvernement du peuple : or une démocratie « représentative » n’est autre qu’un dispositif dans lequel, si le peuple est en principe le dépositaire en dernière instance du pouvoir, il ne peut l’exercer que dans des cadres qui sont préformés, limités, circonscrits, dans leur ampleur comme leurs objets, et par délégation, par ceux qui savent ce qu’il importe de faire. La substance de cette injonction remonte à Platon nous rappelle Rancière depuis longtemps, de Le philosophe et ses pauvres (1983) en passant par La mésentente (1995) : Platon selon qui gouverner ne pouvait se faire qu’en vertu d’un titre, de naissance, de richesse, ou de savoir (et la plupart du temps les trois réunis). Ainsi, la souveraineté populaire et les « droits de l’homme et du citoyen » qui en émanent fonctionnent depuis longtemps concrètement comme leur propre antithèse, comme un hochet : « Vous avez le pouvoir dans le principe, alors 1) il n’est ni utile, 2) ni légitime, de vouloir l’avoir concrètement dans l’État, et encore moins dans la rue, ou dans une université. Et si vous voulez l’avoir ailleurs que là où on vous dit de l’avoir, alors on vous en fera passer l’envie ! »
Cette délégation de pouvoir, cette « représentation » a fonctionné dès l’origine comme un procédé non pas démocratique, mais oligarchique de délégation forcée du pouvoir, et aucunement comme simple aménagement logistique de l’expression démocratique. Certes on la présente comme une délégation « libre » : de la même façon que le chômeur en fin de droit signe un « libre contrat de travail », pour éviter d’être radiés des listes de l’ANPE, si un employeur se présente à lui. Sartre, dans son magistral « Élections piège à cons » (1973) rappelait, en parlant des « petits Machiavel » socio-libéro-démocrates qui croient pouvoir subvertir le vote en un faisant un instrument de déstabilisation de l’ordre politique, que : « le machiavélisme se retournera [donc] contre eux ». Il précisait – mais Rousseau l’avait déjà dit en son temps – ainsi :

« En un mot, quand je vote, j’abdique mon pouvoir – c’est-à-dire la possibilité qui est en chacun de constituer avec tous les autres un groupe souverain qui n’a nul besoin de représentants… Voter, c’est sans doute, pour le citoyen sérialisé, donner sa voix à un parti, mais c’est surtout voter pour le vote […] c’est-à-dire pour l’institution politique qui nous maintient en état d’impuissance sérielle […] Ainsi, chacun, fermé sur son droit de vote comme un propriétaire sur sa propriété, choisira ses maîtres […] sans voir que ce prétendu droit de vote n’est que l’interdiction de s’unir aux autres pour résoudre par la praxis les vrais problèmes….
« Il n’y a rien à dire si l’on accepte les règles de ce jeu de cons […] De toute manière on noiera la Révolution dans les urnes, ce qui n’est pas étonnant puisque de toute manière, elles sont faites pour cela. »


Ainsi appelons les choses par leur nom : nous ne sommes donc pas en démocratie, mais dans des États de droits oligarchiques, dans lequel le vote dans l’isoloir sert concrètement à « substituer un pouvoir légal à un pouvoir légitime » disait Sartre, lequel, reconduisant en son style la critique marxiste des démocraties formelles, formulait en 1951 (dans un court article intitulé « Sommes-nous en démocratie ? », question à laquelle il répondait négativement) le sens de ce « formel » :

« Il est vrai que j’ai certains pouvoirs réels. Mais comment décider s’ils me viennent de la constitution ou du fait que j’appartiens à la classe privilégié ? [...] Le régime dans lequel je vis est beaucoup plus démocratique pour moi que pour un manœuvre »

Certes, une démocratie libérale-représentative n’est pas un État oligarchique de non-droit : ce n’est ni une dictature militaire, ni un régime fasciste ou fascisant. Un État de droit oligarchique, autant qu’il peut maintenir certains droits sociaux, ménage d’authentiques espaces « publics » permettant l’exercice de libertés individuelles et collectives (en complément de certaines garanties juridiques), bref, il ménage, dans le tissu associatif, syndical, professionnel médiatique, des contre-pouvoirs effectifs : les atteintes aux libertés individuelles, bien réelles, des bavures aux black-out et propagandes des médias d’État, ne sont pas pour autant organisées ni systématisées dans le temps et l’espace, comme cela a pu et pourrait l’être dans régime fascisant. Mais tout est possible…


Suite dans le message suivant.

E.Barot - Admin
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Sur la polysémie du terme "démocratie" aujourd'hui Empty Démocratie et habillage

Message  gramophone Mer 11 Mar - 17:24

Quant à moi

aliud est celare, aliud tacere



D'abord je prends un plaisir fou à lire la pensée de certains intellectuels, je viens de découvrir, un peu tard, (vu mon âge) comme un jour j'ai découvris le professeur Olivier IHL. Des discours d'une profondeur intellectuel et d'une actualité véhémente.

N'étant pas francophone, et de par mon niveau de ressources, j'aurais du mal à égaler le niveau de connaissances des étudiants et des tuteurs du niveau supérieur. D'autant plus qu'un grande partie de mon temps doit être consacré à garantir les besoins financières d'une modeste famille.

Sur le fond

La démocratie est une notion dotée de mimétisme, qui n'est qu'une apparence assignée de force et à travers l'histoire sous couvert d'anonymat par des élites.

Depuis mon humble niveau de béotien et ignare, grâce à mes nobles professeurs, et la facilité de l'internet, je cru comprendre que l'histoire preuve que les empires ont un cycle.

L'empire du Capitalisme saurait une exception?

Aucun empire ne peu pas déranger à la règle. Sous la tutelle de vos énonces, je crois indispensable de commencer à "cogiter" (toujours dans les cercles intellectuels) sur les contours d'un nouveaux empire.

Vu la pensée de Darwin, la vision de Malthus, et l'influence intrinsèque de la psychologie d'après Mill (1806 – 1873) sur l'ordre du monde. Vu la constante hégémonie d'une élite sur l'ordre globale. Bien qu'il y ait nombre d'intellectuels autres à avoir adopté des théories, et je dois citer Marx, théories hautaines vis-à-vis du pouvoir, par pragmatisme et logique nous pouvons avancer que ce nouveau empire gardera en commun avec tous les autres la stratification sociale.

Alors qu'en fait c'est l'accroissement des différences ou l'abîme entre les strates (cyclique) qui vienne à but des empires.

"Quel gâchis" puisque le sang a un prix inhumain" (cyclique) et c'est à chaque fois les gueux qui perdent leur vie.
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